Rêver d’un impossible rêve

La nuit derrière j’ai rêvé que je marchais à nouveau. J’ai rêvé que mon corps était entièrement fonctionnel comme à l’époque révolue où il m’appartenait encore. Je jouissais de chaque mouvement, de chaque sensation. Je sentais la pelouse fraîche sous mes orteils et les pierres du patio que Jocelyn et moi avons installées lorsque nous avons refait la cour extérieure. Je pouvais aisément bouger chacune des parties de mon corps sans avoir l’impression de soulever d’énormes pierres. Je me sentais tellement libre et légère que même en rêve, j’avais les yeux dans l’eau. Je ne sais pas par quel miracle j’avais retrouvé mon corps mais je me souviens de ce sentiment d’euphorie et de bonheur qui m’habitait. Un sentiment intense de gratitude. Dans mon rêve, je pouvais parler. Je me suis mise à chanter à pleins poumons. Je riais, je pleurais, je me sentais enfin délivrée de la SLA. Je me suis étendue sur le gazon et j’ai regardé la cime des arbres en pleurant; infiniment reconnaissante de ce qui m’arrivait. Le soleil pointait ses chauds rayons à travers les branches et j’ai savouré cet instant qui semblait s’arrêter. Je me souviens de m’être promis de prendre soin de mon corps, celui que j’avais enfin retrouvé.

Cette sensation puissante ressentie dans mon rêve était encore présente à mon réveil. Confrontée à ma réalité, je me suis sentie très triste. Jocelyn dormait encore dans le lit d’à côté. Le réveil indiquait 07:00. Trop tôt pour le réveiller. Je me suis mise à réfléchir à mon rêve. Si j’avais la possibilité de retrouver mes facultés physiques, prendrais-je vraiment soin de mon corps? Si je retrouvais ma vie d’avant, est-ce que je changerais certaines choses? À ces deux questions, je réponds par l’affirmative assurément. Premièrement, je me nourrirais mieux et introduirais le sport dans mes activités hebdomadaires. Deuxièmement, je diminuerais les facteurs de stress au minimum. Je continue de penser que le stress n’est pas étranger au développement de la SLA. Les grandes lignes de ma vie demeureraient toutefois les mêmes. J’ai connu une belle vie et je l’ai vécue à fond. « Plus nous aurons donné de sens à notre vie, moins nous éprouverons de regrets à l’instant de la mort.» Ces mots du dalaï-lama expliquent ma sérénité. Aucun regret ne m’habite. Je ne revivrais pas ma vie autrement. J’ai goûté pleinement au banquet qui m’a été offert et j’accepte maintenant avec résignation la route tracée devant moi.

Cette réflexion m’a fait penser à ce poème écrit par Thomas Goulet, le conjoint d’Anne-Marie Séguin, diagnostiquée d’un cancer en phase terminale et décédée le 20 août 2016. Ce poème a été partagé durant le formidable documentaire intitulé « La mort m’a dit ».  Assurément un des poèmes qui m’a le plus émue tant il représente l’essentiel de la vie. Il m’a tellement touchée que je souhaiterais vous le faire découvrir :

La mort m’a dit qu’il est bon de vivre et qu’il n’est rien à craindre.

Que l’oiseau vole !

et qu’il goûte aux saveurs de l’azur.

Qu’il s’émerveille de la danse enchantée des reflets d’or sur la mer.

Qu’il s’émerveille de son ivresse unique, de ses pouvoirs, de ses limites.

Qu’il goûte aussi au plaisir du partage, à ce compagnonnage mystérieux, à ses fenêtres ouvrant sur d’autres mondes.

Quand le soir viendra, il pourra déposer ses rêves dans le grand manteau de la terre pour y dormir.

Lorsque j’ai raconté mon rêve à Jocelyn, il m’a dit de continuer de rêver ainsi. Je visualise et c’est positif selon lui. L’autre soir, pendant qu’on regardait un film intitulé « La Ligne verte », Jocelyn s’est mis à pleurer discrètement. Ce film raconte l’histoire Paul Edgecombe qui est gardien-chef au pénitencier de Cold Mountain en Louisiane, au bloc E, surnommé La Ligne verte, où sont détenus les condamnés à la chaise électrique. Un jour, un nouveau détenu arrive. Il s’agit de John Coffey, un colosse, condamné pour le viol et le meurtre de deux sœurs. Cependant, ces faits offrent un contraste très troublant avec la douceur et la gentillesse de John qui est, semble-t-il, doté de pouvoirs surnaturels. Un jour, John soigne Paul d’une manière miraculeuse : il pose sa main sur l’endroit atteint, puis recrache le « mal » sous forme de particules noires. Jocelyn me dit alors : « Pas de danger qu’un vrai John Coffey puisse t’enlever ta maladie. Ça serait trop beau! ». Nous pleurons tous les deux. Lui, pleure de cette impossibilité pour moi de guérir et je pleure parce qu’il est triste.

Le 22 janvier 2020, j’ai complété la septième année. Sept années depuis le diagnostic dont six en fauteuil roulant. Je m’estime très chanceuse de faire partie du 10% des personnes atteintes qui vivent au-delà du cinq ans. Savez-vous que chaque année qui dépasse les pronostics m’apporte un sentiment de fierté? Je me dis à chaque fois : « Fu#& you SLA! ». Je fête cette date autant que mon anniversaire. C’est un peu ma façon d’affirmer que les statistiques ne sont pas inéluctables. L’espoir et la joie m’habitent encore. Je suis encore en vie et j’en profite pleinement. Je ne sais pas combien de temps il me reste mais QUI possède cette certitude? Ni vous ni moi!

Chantal Lanthier

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16 réponses sur « Rêver d’un impossible rêve »

  1. Triste mais tellement beau. Tout ce courage qui vous habite. Vous êtes une inspiration non seulement pour les gens atteint de maladies mais pour tout le monde car qui n’a pas eu de difficulté à un moment de sa vie. Chantal continue sur cette lancée car tu défies les pronostics.

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  2. Quel beau poème ! Ce reportage sur la mort ? Est ce que c’était à la télévision ? J ai aussi beaucoup aimé la ligne verte qui est ce que j ai lu de plus émouvant comme plaidoyer romancé contre la peine de mort, et le film est très beau aussi. Bises amicales et très bon anniversaire.

    Aimé par 1 personne

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