Le 10% que je ne vous dis pas

Vous vous en doutez bien, vivre avec un handicap n’est pas une partie de plaisir. Quotidiennement, nous devons affronter bien des épreuves. Tout d’abord, il faut accepter de nous dénuder devant des étrangers ou des amis. Je me rappelle la première fois où Marie, la fille de mon amoureux, a eu à m’essuyer les fesses. Comme j’étais gênée et mal à l’aise! La présence de Marie, dans mon environnement immédiat, m’obligeait à partager pour la première fois mon intimité avec quelqu’un d’autre que Jocelyn. Étant donné ma nature plutôt prude, cette étape a constitué un grand défi pour moi. Bien avant qu’elle ne puisse venir me soutenir sur une base régulière, cette éventualité m’a trotté dans la tête pendant des mois. J’arrivais difficilement à me faire à l’idée de me dénuder devant quelqu’un d’autre dans un tel contexte. Puis, j’ai réalisé que je devais surmonter mes appréhensions et faire les efforts nécessaires. Accepter ce compromis me permet d’offrir du repos à mon amoureux !

Encore aujourd’hui, cette vulnérabilité dans laquelle me place ma paralysie continue de m’indisposer. J’ai le souvenir de la première fois où je n’ai pu me retenir et que je me suis échappée (fais pipi dans mes culottes). J’étais tellement gênée. J’ai éclaté en sanglots et Jocelyn est rapidement venu m’aider. J’ai dû accepter que ma vitesse de déplacement corresponde dorénavant à celle d’une tortue. Fini, le petit lapin rapide ! Un épisode similaire s’est produit avec ma grande amie Julie, au Théâtre Saint-Denis. Me risquant à utiliser les toilettes et en dépit de son aide, j’ai échoué à m’asseoir correctement sur le siège de la toilette. Détrempée comme un petit enfant qui n’aurait pas encore su comment aller au petit coin, j’étais à ce point embarrassée que je n’arrivais pas à parler. Pendant que Julie me lavait et essuyait les dégâts, elle a simplement dit: «Je sais», en me serrant dans ses bras. Nous avons pleuré toutes les deux.

Je ne m’habitue pas à confier mon corps aux mains de quelqu’un d’autre. Chaque fois que mes amies m’invitent à sortir, je dois me faire violence et taire mon anxiété. J’évite de laisser ces émotions dicter ma conduite. Je sais qu’il me faut franchir les barrières du malaise et tenter de trouver le confort du toucher de mon corps par les autres. Je dois apprendre à m’abandonner et à faire confiance, comme le nouveau-né se laisse aller dans les bras de ses parents. Je crois que ma dépendance peut devenir une source de réconfort dans l’abandon total, mais y arriverai-je un jour? Je sais, pour en avoir discuté avec d’autres personnes qui ont la SLA, que cette proximité physique n’est pas un obstacle pour tous et que certaines d’entre elles n’éprouvent aucune gêne dans des situations similaires. Au début de ma maladie, quand Jocelyn devait m’habiller et m’aider à enfiler mon soutien-gorge, à la blague, il me disait: «Je suis vraiment plus habile à l’enlever qu’à le mettre. » Son humour m’attendrit en toute situation. Lui qui essaie d’aligner bonnets et bretelles, et moi qui ne peux parler, tellement je ris. Bienvenue dans le monde des femmes, mon bel amour !

La perte d’autonomie m’oblige à utiliser un bavoir quand je mange! Je vous dis que la première fois où je l’ai utilisé devant mes amis, j’étais très gênée! Maintenant, j’arrive difficilement à lever la main pour permettre à la fourchette d’arriver à ma bouche. Jocelyn a commencé à me faire manger. Autre malaise! Je sais, je vous entends dire : «C’est pas de ta faute, ne sois pas gênée de ça». Mais comme à chaque perte, je dois me faire à l’idée et m’adapter. Bientôt, je serai comme les princesses au Moyen Âge, vous savez celles qu’on lavait, habillait et nourrissait sans qu’elles ne lèvent le petit doigt.

Certains n’ont pas la chance d’avoir une Marie dans leur entourage et doivent plutôt affronter une armée d’étrangers fournis par le CLSC. De parfaits intrus venus pour les assister à prendre leur douche, à brosser leurs dents et à s’habiller. Ils changent au gré du vent selon leur disponibilité. On repassera pour l’intimité! Et vous, que feriez-vous si on vous envoyait une personne du sexe opposé pour vous toiletter? Pour laver vos parties intimes? Seriez-vous à l’aise? Tous ces inconnus qui défilent dans votre logis a de quoi vous étourdir.

Un autre aspect qui me fait «freaker» et sur lequel je n’ai aucun contrôle se sont mes éternuements. Lorsque mon nez me pique et que je sens l’éternuement arriver, je perds tout contrôle et mon nez se vide d’un coup. Imaginez-vous la scène! Et moi, qui ne peux plus me moucher seule! C’est vraiment très malaisant en public! Ce moment où j’attends que quelqu’un vienne me moucher et m’essuyer me paraît une éternité. À chaque fois, j’espère que personne ne m’a vue.

Malgré tous ces inconvénients, je ne m’empêche pas de sortir. Je fais fi de mes craintes et j’affronte le monde au risque de paraître ridicule. La vie est fait de continuels impondérables. Soit tu les acceptes, sois tu te morfonds chez toi et passes ainsi à côté de précieux moments heureux.

Chantal Lanthier

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2 réponses sur « Le 10% que je ne vous dis pas »

  1. Oufff ce sont des milliers de deuils à faire, je comprends votre peine à vivre 😕 ! Si au moins je peux vous consoler un peu, sachez que comme préposée aux bénéficiaires, ce n’est pas le corps de la personne que nous voyons mais bien son cœur ❣ et les premières fois que j’etais Aussi mal à l’aise que vous !
    Je vous souhaite un bel été remplie d’amours auprès des votres.

    Aimé par 1 personne

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