Le couple et la maladie

J’ai parfois l’impression que Jocelyn et moi ne formons plus un couple, du moins dans le sens traditionnel du mot. Il donne et moi, je reçois alors que dans le couple « normal » les deux donnent et reçoivent mutuellement.  Quand la maladie grave frappe, il faut redéfinir notre notion du couple. Nous devons tous les deux faire le « deuil » de notre vie d’avant. 

Ma réalité chamboule même notre intimité.  Depuis mon diagnostic, il ne m’est plus possible de me laver seule. Je n’ai plus assez d’autonomie pour me rendre à la salle de bain. Jocelyn doit m’assister dans les tâches les plus délicates. J’utilise de l’équipement spécialisé. La chaise de douche et le lève-personne font partie de mon quotidien. Incapable de mettre mes chaussures et mes vêtements, je m’habille avec l’aide de mon amour.  Je dors dans un lit d’hôpital.  Tous ces facteurs me font craindre que mon amoureux ne se transforme exclusivement qu’en aidant naturel, qu’il renonce à moi en tant que conjointe et amante. J’ai peur à son détachement, à sa fatigue et son épuisement.

L’aidant culpabilise de penser à prendre du bon temps pour lui tandis que le malade culpabilise de gâcher la vie de l’autre, même s’ils s’aiment. Il faut une grande communication entre les conjoints pour définir clairement leurs nouveaux besoins et s’y adapter. Rien n’est plus comme avant, mais des compromis s’avèrent encore possibles.

Lorsqu’un couple est confronté à une maladie grave et mortelle, c’est tout l’équilibre de la relation qui est heurté. Il y a rupture de cette aisance du quotidien, tout est perturbé. La vie pratique, physique, sexuelle et sociale est touchée.

L’aidant reste debout avec toutes les responsabilités alors que le malade nécessite aide et devient vulnérable. La relation devient disproportionnée. Une relation de dépendance se crée entre les deux personnes et l’absence de communication peut engendrer la solitude de part et d’autre. Il est important d’être écouté et de partager pour que la souffrance de chacun puisse être entendue et reconnue. Il est également très facile d’interpréter négativement l’intention du partenaire car les défis sont nombreux. Dans mon cas, j’ai souvent l’impression que Jocelyn préfère être sans moi, libre de vaquer à ses occupations.

Notre intimité, sans contrainte, est également réduite.  Même très entourée, je me sens souvent perdue dans l’immense tempête de ma souffrance que moi seule doit traverser. Notre liberté est restreinte tous les deux.  Chacun doit trouver sa propre identité dans cette épreuve. La représentation qu’a chacun de l’amour est remise en question. Je ne me définis plus par mes actions mais par mes pertes. J’ai peine à reconnaître ma vie d’avant.  Je ne suis plus sur le même pied d’égalité.  Jocelyn pouvait compter sur moi avant, il pouvait marcher d’un même pas que moi à travers les aléas de la vie, avoir des débats parfois intenses, partager des prises de décisions… Le couple est sans cesse confronté à l’impuissance ce qui crée une frustration frisant parfois la colère, les tensions, la peine et le découragement.

Forcément, on ralentit notre rythme de la vie et chaque moment devient plus important. On s’éloigne des activités sociales et on privilégie les liens familiaux ou amicaux. Dépendamment de l’intensité de la maladie, l’apport des proches peut devenir un soutien ou un poids. On se limite à la maison. Les sorties sont de plus en plus brèves. On sort de moins en moins loin, de moins en moins souvent. Chacun se scrute cherchant l’indice qui pourrait le renseigner sur l’état intérieur de l’autre. Moi, j’ai un sentiment d’urgence à vivre à fond. Je souhaite participer aux plus grandes choses possibles en fonction de mes capacités bien sûr alors que Jocelyn est plus sédentaire. Cela est constamment source de discussions entre nous.

Comme le dit si bien Angèle Doucet, proche aidante de son mari Pierre : « L’intimité se vit différemment mais elle est toujours là, des regards, des sourires, des moments de tendresse différents mais qui nous comblent. Sentir la chaleur de sa présence même s’il n’est pas tout près de moi, c’est ce qui me donne le goût de tout faire pour qu’il soit bien. Je puise également dans mes souvenirs et je me rappelle comment il a été là pour moi dans des moments plus difficiles. Ce support apporté fait partie de lui et rien ne pourra me faire oublier qu’il était là pour moi et qu’il est toujours là ».

Cette épreuve permet de mesurer l’amour entre Jocelyn et moi.  La maladie ébranle fortement le lien d’amour nous unissant mais elle le fait grandir également car elle oblige à se mettre à nu devant l’autre (au sens propre et figuré…lol).

Nous devons essayer de conserver ces rendez-vous qui nous permettent de nous sentir bien ensemble.  Prendre le temps de donner et de recevoir différemment. Nous multiplions les caresses et câlins, ainsi que les petites attentions. Nos regards et nos sourires révèlent la grande communion, la complicité et l’amour que nous avons l’un pour l’autre.

 

Chantal Lanthier

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Des hauts et des bas

J’ai connu plusieurs moments de déprime depuis l’annonce de mon diagnostic il y a déjà 11 ans. J’ai constaté que ces périodes coïncidaient toujours à la baisse de mes capacités motrices. Actuellement, je fais face à un déclin de mes bras et mains qui limite ma capacité d’écrire. J’ai de la difficulté à atteindre certaines touches sur mon clavier et je ne peux plus toucher aux éléments situés dans le haut de mon iPad. Écrire cette chronique m’a pris une semaine. Comme je ne parle plus, cela m’angoisse énormément car c’est ma seule façon de pouvoir m’exprimer. C’est vital pour moi d’être capable de partager par écrit mes questionnements, mes doutes et mes émotions.

À chaque fois que je constate une chute de mes capacités, je m’affole, m’effondre et me remets en question. « Est-ce ça la vie que je veux ? » me dis-je. Je sais que ma condition n’ira pas en s’améliorant. « Suis-je capable de faire face à cette nouvelle épreuve ? ».  Je dois constamment composer avec cette incertitude propre à la maladie dégénérative. Plus les années avancent, plus je suis consciente des limitations que m’impose mon corps. Cette perspective ne me quitte jamais vraiment. C’est comme vivre avec la mort en permanence avec soi. En même temps, je me sens très privilégiée du temps que j’ai eu jusqu’à maintenant.   

Quand cela survient, j’essaie de me convaincre d’utiliser mes techniques de gratitude, d’adopter un état d’esprit positif, de me concentrer sur les bonnes choses de ma vie, de rechercher des amis et des membres de ma famille qui me soutiennent et m’encouragent à donner le meilleur de moi-même, rien n’y fait. Je suis facilement irritable, morose et triste. Jocelyn sait que je vais rebondir éventuellement et me soutient. Comme on le dit : Je dois vivre ma peine! Je me sens seule et je réalise que je suis toujours seule à porter le poids de la maladie. Certes, je suis pris en charge par des professionnels compétents, je suis entourée par une famille aimante et attentionnée, mais aucune de ces personnes ne peut me rejoindre dans les épreuves que je traverse. Quand l’instant est grave, important ou difficile, on est seul, toujours. Faire affaire avec un psychologue? Difficile puisque je ne parle plus.

Pour moi, j’ai parfois l’impression que ma vie ne ressemble plus à une vie. À quoi vais-je m’accrocher ? Je dois puiser au plus profond de moi pour trouver cette réponse. L’épreuve de la maladie est une expérience des plus singulières de l’adaptation humaine. Face à la SLA, je dois constamment mobiliser mes ressources et faire face à l’épreuve. Je n’ai pas le choix. Il me faut faire avec; je dois m’adapter. J’ai réalisé que ces périodes viennent en alternance, en fonction de la perte de mes capacités motrices.

Au bout de quelques semaines de léthargie, j’ai commencé à faire des recherches sur Google et je suis tombée sur un outil extraordinaire. Il s’appelle Guided hands. Il s’agit d’un appareil d’assistance qui permet à toute personne ayant une motricité limitée d’écrire, de peindre, de dessiner. Il favorise les mouvements guidés de la main. Le système coulissant encourage l’utilisation de la motricité globale des épaules, plutôt que la motricité limitée des mains. Le porteur est polyvalent et compatible avec les stylos, crayons, pinceaux, marqueurs et stylets.

Nous avons demandé au CLSC de nous fournir cet appareil. Une ergothérapeute est venue à la maison pour évaluer ma capacité à utiliser ce merveilleux instrument. Il me permettrait de colorier des mandalas, de m’initier à la peinture et utiliser mon iPad pour écrire.

Je vous ai déjà dit que je pouvais écrire avec mes yeux mais l’expérience s’est avérée inefficace. Il aurait fallu que ma tête reste complètement immobile lorsque j’utilisais l’infrarouge. Ma tête et mon cou fonctionnent encore normalement alors j’ai tendance à toujours les bouger. Mon patenteux et mon amie Josée ont conçu un projet pour m’aider à écrire.  Ils ont installé un clavier tactile (trackpad) sur ma tablette que je mets sur mes cuisses et cela me sers de souris. J’utilise mon doigt pour naviguer et écrire. Le dispositif est près de moi et me permet d’accéder à toutes les touches mêmes celles qui sont dans le haut de l’écran de mon Ipad. C’est génial !

Finalement, j’ai réalisé que mes moments de déprime surviennent toujours avec la perte de mes capacités. Cela vient par vagues. Toutefois, je dois m’attarder aux choses positives qui me procurent du bonheur. L’important pour moi est d’avoir des projets en fonction des saisons. L’été est là, et la nature m’appelle. Je compte bien multiplier les sorties dans les parcs, voir des spectacles ou faire des balades en auto. Je dois faire avec, comme on dit et fabriquer moi-même mes instants de joie.

 

 Chantal Lanthier

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Communauté

Aujourd’hui, je vous présente un texte fantastique trouvé sur Ted’s Talk. Il m’a beaucoup touché par sa façon originale d’aborder notre existence. Il existe également un livre sur ce projet qui s’intitule: Before I die…

Dans son quartier de la Nouvelle Orléans, Candy Chang, artiste et conférencière TED a transformé une maison abandonnée en un tableau noir géant en demandant de compléter une question : « Avant de mourir, je veux ___. » Les réponses de ses voisins, surprenantes, poignantes, drôles, sont devenues un miroir inattendu de la communauté.

Les gens autour de nous peuvent contribuer à améliorer nos vies. Nous ne rencontrons pas tous nos voisins, alors beaucoup de sagesse n’est jamais transmise, même si nous partageons les mêmes espaces publics.

Je vis à la Nouvelle-Orléans, et j’aime la Nouvelle-Orléans. Mon âme est toujours apaisée par les chênes géants, qui abritent les amants, les ivrognes et les rêveurs depuis des centaines d’années, et je fais confiance à une ville qui fait toujours de la place à la musique. La ville dispose de la plus belle architecture du monde, mais elle a également le plus grand nombre de propriétés abandonnées en Amérique.

J’habite près de cette maison abandonnée, et j’ai réfléchi à comment je pouvais en faire un espace plus agréable pour mon quartier, mais aussi à quelque chose qui a changé ma vie pour toujours.

En 2009, j’ai perdu quelqu’un que j’aimais beaucoup. Elle s’appelait Joan, et c’était une mère pour moi, et sa mort a été soudaine et inattendue. Et j’ai beaucoup pensé à la mort, et ça m’a rendue très reconnaissante du temps que j’avais eu et ça m’a éclairé sur les choses qui ont du sens dans ma vie maintenant. Mais je lutte pour maintenir cette perspective dans ma vie quotidienne. J’ai l’impression qu’il est facile d’être pris par le quotidien, et d’oublier ce qui compte vraiment. Alors, avec l’aide de mes amis, j’ai transformé le côté de cette maison abandonnée en un tableau noir géant et j’y ai peint au pochoir une phrase dont il faut remplir les blancs : « Avant de mourir, je veux… » Tous ceux qui passent devant peuvent ramasser un morceau de craie, réfléchir à leur vie et partager leurs aspirations personnelles dans l’espace public.

Je ne savais pas quoi attendre de cette expérience, mais le lendemain, le mur était entièrement rempli, et il a continué à se remplir. Et je voudrais partager quelques choses que les gens ont écrit sur ce mur:

  • « Avant de mourir, je veux être jugé pour piratage. »
  • « Avant de mourir, je veux planter un arbre. »
  • « Avant de mourir, je veux chanter pour des millions de gens. »
  • « Avant de mourir, je veux vivre déconnecté. »
  • « Avant de mourir, je veux la tenir dans mes bras encore une fois. »
  • « Avant de mourir, je veux voler au secours de quelqu’un. » « Avant de mourir, je veux être complètement moi-même.»

Cet espace négligé est donc devenu constructif, les espoirs et les rêves des gens m’ont fait rire, m’ont déchirée, et ils m’ont consolée dans mes propres moments difficiles. Il s’agit de savoir que vous n’êtes pas seuls. Il s’agit de comprendre nos voisins d’une façon nouvelle et instructive. Il s’agit de faire de la place à la réflexion et à la contemplation, et de se souvenir de ce qui compte vraiment le plus quand nous grandissons et changeons.

J’ai fait ça l’année dernière et j’ai commencé à recevoir des centaines de messages de gens passionnés qui voulaient faire un mur avec leur communauté, alors mes collègues et moi avons fait un kit et maintenant des murs ont été réalisés dans les pays du monde, y compris en Afrique du Sud, au Kazakhstan, en Australie, en Argentine et au-delà. Ensemble, nous avons montré comme nos espaces publics peuvent être puissants si on nous donne la possibilité de nous exprimer et de partager plus les uns avec les autres.

Deux des choses les plus précieuses que nous avons sont le temps et nos relations avec les autres. A notre époque où nous avons de plus en plus de distractions, il est plus important que jamais de trouver des façons de garder une perspective et de se souvenir que la vie est brève et tendre. On nous décourage souvent de parler de la mort, ou même d’y penser, mais je me suis rendue compte que se préparer à la mort est une des choses les plus responsabilisantes qu’on puisse faire. Penser à la mort rend votre vie claire.

Nos espaces communs peuvent mieux refléter ce qui nous importe en tant qu’individus et communauté. Avec plus de moyens de partager nos espoirs, nos craintes et nos histoires, les gens autour de nous peuvent non seulement nous aider à rendre des lieux plus propices au développement du « nous » collectif, ils nous aide à mener une vie meilleure.

Et vous, quelle serait votre réponse ?

Chantal Lanthier

Thanadoula

Savez-vous qu’il existe des personnes qui se spécialisent à accompagner les gens en fin de vie? Ces personnes s’appellent des thanadoulas. Elles épaulent les personnes en fin de vie et leurs êtres chers. Doula est un mot d’origine grecque utilisé pour désigner les femmes qui réconfortaient, conseillaient, aidaient d’autres femmes avant, pendant et après l’accouchement. Sa première utilisation pour désigner les accompagnants de fin de vie a été répertoriée en 2000, au cours d’une conférence à New York.

La pandémie a changé notre rapport à la mort. On a beaucoup parlé de la mort, les familles ont dû laisser partir un être cher sans être là pour les accompagner, les funérailles qui ont été reportées pendant des mois. Ça nous a certainement fait réfléchir à nos rites mais également à nos façons de vivre la mort. Les thanadoulas sont en forte croissance depuis la pandémie.

La première province canadienne qui a certifié les thanadoulas est la Colombie Britannique. La professionnalisation de cet accompagnement demeure à définir au Québec mais elles sont plusieurs à exercer. Antérieurement, cette vocation était réservée aux bénévoles des soins palliatifs ou à des intervenants spirituels dans les hôpitaux du Québec. Les thanadoulas sont présentes pendant les derniers jours d’une personne pour la rassurer, fournissent l’accompagnement spirituel, elles collaborent avec la famille, elles préparent un plan de fin de vie comme on prépare un plan de naissance, elles peuvent même accompagner la famille après le décès, elles agissent comme un chef d’orchestre en fonction des croyances et souhaits de la personne en fin de vie et de sa famille. Elles ne prodiguent pas de soins médicaux à moins d’être infirmière. 

J’ai travaillé ma vie entière, j’ai bénéficié d’une vie relativement privilégiée, mais pas dénuée de malheurs évidemment, car je suis humaine. J’ai eu un excellent travail, une grande carrière, un enfant et un mari que j’aime, de bons amis, j’ai beaucoup voyagé, fait de grandes choses dans ma vie. Une vie réussie, quoi !

Et là, coup de théâtre. La SLA s’est invitée. Qu’ai-je fait des 46 dernières années me suis-je demandé au moment du diagnostic ? Occupée à survivre aux obligations. Quand j’étais en bonne santé, il s’agissait de ma carrière, des événements pour Maya et Jocelyn ou des prochaines vacances. J’étais tellement occupée à survivre aux contraintes, à rester hors de mon corps, que j’avais oublié d’apprécier la vie elle-même. Je regardais toujours ailleurs. Maintenant que la mort se rapproche, je sais que je n’ai plus d’ailleurs. Seulement ici et maintenant où il n’y a rien d’autre à faire; il ne reste seulement qu’à « être ».

Depuis que la SLA est en moi, je découvre les choses importantes, je trouve un sens réel à ma vie. Dommage que j’ai eu à passer par la maladie pour réaliser tout ça. Ce n’est ni le travail, ni l’argent, ni les possessions mais bien les petites choses qui rendent la vie mémorable. Mes mains dans la terre quand j’avais un jardin, l’odeur du café, lire des livres, le rire des enfants, les couchers de soleil, les bonnes bouffes en famille ou entre amis, etc…On va tous mourir un jour, alors, faisons ce qui nous plaît et savourons chaque journée comme si c’était la dernière. Profitons-en car nous allons tous y passer. Acceptons la vie comme elle vient. Acceptons-la vraiment comme elle vient.

À moins de choisir, la date et le lieu, la manière et l’heure de notre mort restent un mystère. Je comprends pourquoi les gens n’aiment pas parler de la mort. Cela met mal à l’aise. C’est triste et effrayant. Reconnaître notre mortalité signifie aussi reconnaître notre impuissance et notre manque de contrôle dans notre vie.  La mort n’est pas un événement médical, c’est un événement social. C’est un événement profondément personnel.

On laisse toujours une partie de soi en chacun de ceux qu’on a aimé. Que ce soit avec notre sourire, notre parole, nos mots gentils, nos actions, nos transmissions de connaissances, nos écrits, nos échanges, etc. À mes funérailles, personne n’évoquera mes accomplissements professionnels. On parlera de qui j’étais.

Je veux mourir dans mon lit, chez moi, avec mes proches à mes côtés qui parlent entre eux et se réconfortent les uns les autres, pour cette très grande chose qui va se produire dans leur vie. Je veux mourir avec toutes mes affaires en ordre afin que mes proches n’aient d’autres soucis que leur chagrin après ma mort. Je veux mourir débarrassée de toute pression, rassasiée, remplie de la richesse de cette unique chevauchée humaine.

Je ne sais pas encore si je ferai appel à une thanadoula car il y a déjà 11 ans que je prépare ma mort. Je me suis faite à l’idée de mon départ. Bizarrement, je sens que ça rend ma vie plus précieuse. J’ai le sentiment d’avoir vécu une vie géniale que j’ai aimée mais surtout une vie où je me suis sentie aimée. Une vie qui vaut la peine de mourir (notez toutefois que ça ne presse pas…lol).

Chantal Lanthier

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Pas de perdant ni de gagnant

 

Vous savez déjà que je trouve la vie belle malgré mon diagnostic de SLA.  J’aimerais vivre jusqu’au bout, je vivrai jusqu’au bout tant que mon corps et mon esprit tiendront le coup. Jocelyn me dit souvent, à la blague, que je vais l’enterrer.  Évidemment, je ne souhaite pas ça.  

Souvent, j’ai vu les unes des médias révéler qu’un ou qu’une artiste avait perdu sa bataille contre le cancer. Je trouve ça désolant… Comme si, revêtu de son uniforme, la personne malade s’en allait livrer combat. Un corps n’est pas un champ de bataille. C’est épuisant, trop lourd à porter, trop lourd à supporter, trop pénible à endurer. Moi, j’ai retiré mon uniforme et je l’ai déposé sur le sol. La guerre, ce n’est pas mon truc. Je peux comprendre que ce conseil du combat encourage certains.  S’imaginer dans un ring où se jouerait le combat de leur vie permet à certains de trouver l’énergie nécessaire pour faire face à la maladie mais ce n’est pas mon cas. 

Comme le disait Stéphane Laporte en 2018:   »Bref, la maladie ne gagne jamais. La maladie n’existe pas sans le malade. Il faut vraiment cesser de dire qu’un humain a perdu son combat contre le cancer. L’humain, soit il guérit et continue son chemin, soit il se rend au fil d’arrivée. On ne perd pas quand on franchit le fil d’arrivée. Peu importe son temps. On est allé au bout de soi. On ne pouvait aller plus loin. On ne pouvait aller plus haut. Un malade, ce n’est jamais un perdant. Chacun a son tracé.  »

Quand les gens apprennent que j’ai la SLA depuis 11 ans, je deviens une battante. Réduire les malades au statut de gagnant ou de perdant c’est ne pas saisir l’ampleur des efforts fournis par ceux qui abdiquent. Les gens qui meurent ne sont pas des perdants. Les gens qui perdent, dans l’histoire, ce sont plutôt ceux qui restent. 

La maladie n’est pas un ennemi à combattre sur un ring imaginaire. Il est bien plus productif de rassembler toute son énergie au service du mieux-être, plutôt que de dilapider son capital vital en alimentant un combat stérile.  

Combattre la maladie, c’est contribuer à lui donner plus d’importance qu’elle n’en a. D’ailleurs, elle en a déjà beaucoup trop à mon goût.  Ce n’est pas une adversaire, elle n’est pas non plus une amie ou une alliée. Ni ennemie, ni copine, ni la marque du destin, il ne s’agit pas non plus d’une fatalité, d’une punition, ou d’une malédiction. Je l’accepte et l’accueille comme une simple réalité et j’ai décidé de composer avec cette dernière. 

Je déteste l’idée d’être en guerre avec mon corps.  Je déteste également l’idée d’en faire MA maladie (ne pas se l’approprier) car en réalité, elle restera dans les parages pour le restant de ma vie. Je ne deviens pas la maladie, sinon cela signifierait que je me laisse mourir. 

J’ai cessé d’être obsédée par ce que mon corps était tout croche et je me suis focalisée sur la gratitude que je nourrissais pour mon corps. J’ai cessé de dire « Je ne veux pas mourir » et je me répète plutôt « Je choisis de vivre ». La gratitude est devenue l’outil qui m’a permis de restructurer ma vision de la maladie et de l’invalidité quand le reste du monde m’intimait de me battre. J’ai fait la paix avec mon état. Il s’agit d’accepter la maladie comme une simple réalité. Il faut la reconnaitre et l’accepter en lâchant prise sans sombrer dans le déni.

La maladie et moi, nous nous apprivoisons mutuellement. Je la respecte et j’ai fini par accepter sa présence en moi. Cette cohabitation ne me plaît pas ; elle m’est imposée. Le choix ne m’en incombe pas. J’aimerais bien qu’elle me quitte, mais elle s’agrippe avec une grande ténacité. J’ai donc décidé de faire avec et de m’en accommoder, aussi difficile que cela puisse être. 

La maladie qui peut frapper inopinément n’importe qui. Elle me rappelle aussi ma condition de pauvre mortelle. Nous sommes tous comme la neige qui va éventuellement fondre au soleil au printemps. Nos vies passent comme des étoiles filantes. Profitons et apprécions tous les instants de notre miraculeuse existence.

#Vivre heureuse avec la Sla 

Chantal Lanthier

 

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