L’art de perdre

La poétesse Elizabeth Bishop a écrit ces vers: « L’art de perdre est aisé à maîtriser. Il semble que tant de choses soient faites pour être perdu que leur disparition n’est en rien une désolation ». Marie Nimier, parolière française, a également écrit : «Il fallait savoir perdre, savoir renoncer, c’était la seule façon de survivre». Je ne suis pas poétesse ni parolière. Je suis quelqu’un qui vit avec la sclérose latérale amyotrophique (SLA) et à cet égard, il me faut apprendre l’art de perdre au quotidien. Je perds mes muscles, je perds mes activités d’antan, je perds mon énergie mais surtout je perds mon autonomie.

En réalité, de façon plus globale, nous sommes tous nés pour perdre. Le cycle de la vie se termine un jour. Tout se transforme, tout évolue constamment. Les événements se terminent et d’autres commencent. Perdre, c’est gagner. Gagner en savoir, en introspection. Chaque perte est un professeur inestimable. Ainsi, perdre, c’est la chance de pouvoir continuer à grandir et d’apprendre. Évidemment, lorsqu’on subit un échec ou une perte, plein d’émotions, de peines ou de déceptions font surface. Mais avec le temps, une fois la tempête passée, nous apprenons, nous observons et réagissons à ce qui nous est arrivé. C’est alors dans cette zone que nous grandissons. Tel l’enfant qui apprend à marcher et qui subit plusieurs échecs, nous nous adaptons et nous nous relevons. Personnellement, je considère que toutes mes pertes, tous ces deuils m’ont apporté beaucoup en sagesse intérieure. Placée devant l’évidence de la maladie, je n’ai eu qu’un seul choix, y faire face pour survivre.

Toute mon existence j’ai accumulé les souvenirs. Ces souvenirs constituent, d’une certaine façon, ma plus grande richesse. Le soir où j’ai fait la connaissance de mon mari, la première fois que j’ai tenu ma fille Maya entre les mains, les projets qui naissent, les amitiés qui se nouent et les voyages qui mènent de par le monde. Tout ce que j’ai accumulé dans la vie, ce pourquoi j’ai travaillé d’arrache-pied, aujourd’hui, je me vois dépouillée de tout cela. Ainsi que vous l’imaginez ou ainsi que vous le savez, c’est l’horreur. Mais le pire est à venir. Qui peut vraiment nous prendre au sérieux si nous ne sommes plus que l’ombre de ce que nous étions? Notre corps qui s’atrophie, notre absence de conversation changent la perception que les autres ont de nous et celle que nous avons de nous-mêmes. Nous en devenons dépendants, incapables et vulnérables mais cela n’est pas nous, c’est notre maladie et à l’instar des autres, cette maladie a une cause, une évolution et des chances de traitement. Mon désir le plus cher c’est que mes enfants, nos enfants, la génération à venir n’aient jamais à affronter ce que j’affronte, moi.

Pour l’instant, je suis toujours vivante, je me sais vivante! Je suis entourée de gens que j’aime tendrement, j’ai des projets pour ma vie, je peste contre la maladie quand mon corps me joue des tours. J’ai toujours des moments dans la journée de pur bonheur et de joie. Ne pensez pas que je souffre le martyre, je ne souffre pas, je me bats afin de demeurer dans la course et de rester connectée à celle que j’ai été un jour. Alors je me dis : «Vis dans l’instant». Je ne peux d’ailleurs rien faire d’autre que de vivre dans l’instant et de ne pas trop me culpabiliser d’avoir maîtriser l’art de perdre. Cependant, je ferais tout pour m’accrocher à mes souvenirs car je peux m’y réfugier quand mon corps me fait défaut. Ça me réconforte de penser à la personne pleine de détermination et communicative que j’étais autrefois.

Même si je vis de nombreuses pertes, je ne perds nullement espoir qu’un jour un médicament soit trouvé pour atténuer ou vaincre cette maladie.

Chantal Lanthier

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9 réponses sur « L’art de perdre »

  1. Quelle belle phrase que je retiendrai : « à chaque jour j’ai toujours des moments de pur bonheur et de joies ». Merci Chantal pour tes belles paroles. Moi aussi j’essaie de trouver beau tout ce que je peux dans ma journée, même si j’oublie souvent, je continues à pratiquer à être attentive et à apprécier les belles choses qui se présentent, merci de nous le rappeler.
    Passe un bel été Chantal xx

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  2. Ça y est! Je pleure encore…🥲
    Quelle beauté ta plume! 👏
    Tu sais prendre les bons mots au bon endroit pour que l’on ressente exactement ce que tu veux dire…
    J’aime te lire et j’adore te côtoyer!!!😉🥰
    Merci pour cette belle réflexion!🙏
    Je t’aime mon amie ❤️XX

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  3. Oui vivre en conscience comme tu le fais avec ce courage et cet amour malgré tout ces deuils successifs est un art et tu es une grande artiste alors chapeau l’artiste !! Et des bises de moi que tu ne connais pas à toi que je ne connais pas mais qui me parle au coeur et que j’admire.

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