Tes besoins ou les miens?

Comme tous les couples, Jocelyn et moi nous nous « pognons » occasionnellement. Cela finit avec moi qui pleure et lui qui se retire. Je pleure de colère et de découragement. Colère de ne pas pouvoir exprimer mes émotions, de ne pas être en mesure de faire valoir mes arguments, mes idées. Si seulement je pouvais parler! Lorsque je suis fâchée, j’ai le sentiment qu’une boule se forme dans ma gorge et j’émets alors des sons aigus empêchant toute communication. Mes sécrétions s’accumulent et j’ai peine à respirer. Je suis pitoyable dans cet état alors j’évite ça comme la peste. Je dois alors me calmer. Lorsque les mots ne s’expriment plus, la communication non verbale devient un canal encore plus important. Le regard, les gestes, les postures, les attitudes et le toucher deviennent des outils de communication très efficaces.

J’ai toujours eu du caractère et une forte personnalité. Jocelyn est de nature plus conciliante. La maladie multiplie les occasions que nous avons d’entrer en conflit. Le moindre geste, le moindre soin qu’il m’apporte peut devenir source potentielle de discorde. Je vous donne un exemple. Lorsque j’ouvre les yeux au réveil, mon corps me rappelle qu’il n’a pas bougé de la nuit. Je n’ai qu’une seule envie; sortir du lit. Contrairement à moi, Jocelyn aime se réveiller lentement. Il préfère paresser au lit. Il n’est pas rare que je doive attendre jusqu’à 45 minutes pour qu’enfin il se lève. Avant, je me serais simplement lever mais voilà….. je dépends de lui pour me lever, m’habiller, me nourrir, etc. Nous devons donc user de beaucoup de patience mutuelle.

Autre exemple : Je parviens à faire comprendre à Jocelyn, « peux-tu repasser la brosse sur mes dents d’en avant? ». « Je l’ai déjà fait ». Je me demande à chaque fois si je dois insister ou me taire. Cette dualité me fait osciller. Est-ce capricieux de ma part? Puis-je vivre quelques heures avec les dents sales?

Jocelyn me dit l’autre jour : « Je viens de me mettre du Voltaren sur mon pied, je ne suis pas disponible pour les prochaines 10 minutes ». Moi, je lui dis : « Quand tu auras fini, j’aurais besoin de la machine à succion ». Environ 2 minutes plus tard, je le vois arriver dans la chambre. Il me dit : « J’ai pensé que tu en avais besoin ». « Ton pied? Pourquoi t’as pas attendu?». La culpabilité nous envahit à tour de rôle. Lui, parce qu’il se sent mal de ne pas répondre à mes besoins immédiatement et moi, parce qu’il s’est levé. Je ne veux surtout pas qu’il devienne mon esclave et qu’il oublie ses propres besoins. Je ne veux également pas devenir transparente et effacée pour ne pas le déranger. Comment éviter de perdre ma personnalité face aux choses auxquelles je tiens vraiment? Comment concilier ses besoins et les miens? Ces questions prennent leur pleine mesure lorsque l’on connaît la situation de l’épuisement chez l’aidant.

Lorsque j’étais en pleine santé, je m’occupais de la plupart des tâches ménagères. Aujourd’hui, lorsque je vois les vitres sales ou un cadre croche, je dois me faire violence pour ne pas demander à Jocelyn. Je me retiens tellement! « Ménage, sors de ce corps!…….lol ». Comme je suis en fauteuil roulant et que je parle peu, j’ai amplement le temps d’observer ce qui se passe autour de moi; à mon grand malheur, rien ne m’échappe. Je dois donc lâcher prise sur les choses que je ne contrôle plus et croyez-moi il y en a plusieurs. La maladie impose ses contraintes, ses rythmes, son univers. Dès le diagnostic, j’ai fait savoir à Jocelyn que toutes les décisions concernant mon corps et les médicaments, m’appartenaient. Il est primordial, pour l’aidant de ne pas infantiliser l’aidé. C’est pas parce que je porte un bavoir qu’il faut me traiter en enfant….lol.

Les raisons sont multiples pour générer une dispute : la dépendance, le sentiment de grande solitude (difficulté à comprendre ce que l’autre vit), la difficulté à communiquer, le rythme de chacun, les sentiments ressentis, les malentendus, etc. Rien ne prépare un couple à se mesurer au tsunami de la maladie. Les projets à court et à long terme qui foutent le camp, la mort à laquelle on fait face tout à coup, la maison qu’il faut adapter, toutes les tâches dont hérite le conjoint en santé, les décisions à prendre, les rendez-vous médicaux, le stress de ne pas connaître comment la maladie évoluera, la précarité financière car l’un des conjoints ne travaille plus, etc.

Heureusement, Jocelyn et moi semblons avoir trouvé notre rythme de croisière. Nous ne sommes pas meilleurs que d’autres mais on se connaît bien (après 29 ans de mariage). On est à l’écoute, on se montre disponible pour l’autre, on reconnaît nos limites, on utilise l’humour, on sait demander de l’aide et surtout, on communique. La maladie est en moi. Je dois constamment me rappeler que Jocelyn n’a pas voulu tout ça. Il le fait parce qu’il m’aime. En définitive, la seule manière de faire front contre la maladie est de voir cette dernière comme un problème commun que nous affrontons ensemble avec compassion et tendresse.

Chantal Lanthier

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12 réponses sur « Tes besoins ou les miens? »

  1. Ah seigneur, Chantal, il faut une énorme dose d’amour à un couple pour passer au travers de ce que vous vivez. Plusieurs se seraient séparés bien avant tout ce que tu vis actuellement. Vous êtes un couple hors du commun. L’amour qui vous unit en est la clé, c’est certain. Grosses bises à vous deux.

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  2. Chère Chantale, je suis Claire, la soeur « des Francines » … merci du fond du coeur pour avoir mis des mots sur ce que l’entourage du couple peut vivre en son fort intérieur. Ça permet de comprendre tant de choses et ça valide des émotions senties au moment des différents événements. Tu es merveilleuse, tu sais.

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  3. Bonjour Chantal

    Merci pour vos chroniques. Je ne suis atteinte de cette maladie qu est la SLA, mais des proches (ami, cousine,et j ai suivi le parcours de Mme Joyal par le biais des ecrits de son conjoint Mario Goupil.

    J ai su dernierement que ma voisine, agee dans la quarantaine seulement, a recu ce diagnostique a la meme periode l an passé et deja elle ne parle plos. J ai été bouleversée de la voir ainsi, alors que j ignorais tout de son etat, etant en Floride tout l hiver.

    J aimerais tellement quelle et son conjoint vous lisent, mais je n ose pas leur envoyer votre lien. Nous nous parlions parce que son fils s occupe du déblayage de la neige durant notre absence, mais pas assez pour aborder le sujet.

    J’ai lu beaucoup sur la SLA, et depuis que j ai découvert vos chroniques je n’en manque aucune.

    J aimerais tellement qu ils vous decouvrent.

    Bon courage Chantal xxx

    Envoyé de mon iPad

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  4. Oui l’amour peut soulever des montagnes ,mais en même temps ça peut te jeter par terre c’est pourquoi il fait des compromis de part et d’autre ,vous le faites si bien!
    Chantal ce que tu décris me ramène en arrière et au dernier mot vocale que Marc a réussit à dire”solitude”et moins qui m’activait comme une queue de veau à préparer ses purées à le gaver à préparer les médicaments à l’aspirer à nettoyer son masque à oxygène ,à me levée la nuit etc etc je me sentais tellement coupable et impuissante face à tout ça !
    Les 3 fois que je l’ai entendu pleurer de désespoir et que j’ai pas oser aller le consoler ne sachant pas trouver les mots justes pour l’aider et les regrets qui reviennent après le départ!
    “Ne pas parler disait-il était pire que tout le reste,tu viens de mettre des mots sur sa pensée!
    Mais seulement 10 mois pour gérer tout ça c’est très peu et toutes les étapes se bouscule,chacun fait de son mieux dans ke meilleur de ses connaissances ,mais ce qui prône c’est l’amour et le respect !Bravo a vous deux vous êtes très inspirants et longue vie encore!💖moi j’en aurais prit encore et encore!

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  5. Tu l’as bien dit: Jocelyn le fait parce qu’il t’aime. Tu aurais sûrement fait la même chose pour lui. C’est ce que je répétais à Lisette parce que je savais qu’elle aurait agi de la même façon avec moi. C’est ça l’amour. Et il en faut beaucoup pour qu’un couple survive quand cette horrible maladie frappe l’un des deux amoureux. Les gens pensent souvent que celui ou celle qui reste est libéré(e) quand la maladie a le dernier mot. Lisette a été malade pendant 3 ans, 1 mois et 1 semaine et j’en aurais pris encore et encore pour la garder à mes côtés. Courage à vous deux. Et profitez du bonheur d’être ensemble.

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