Solitude

Quelques fois, je me sens très seule dans mon aventure avec la SLA même si je ne le suis pas. Je suis certaine que plusieurs de mes compatriotes se sentent ainsi. Plus la maladie évolue, plus le sentiment d’isolement est présent. Seule face à mes incapacités physiques, à la perte de ma voix, à la dépendance, à mon impuissance, au manque d’autonomie, aux nombreux deuils que je dois assumer, à mes craintes, mes interrogations et finalement à l’impact de la maladie sur mes proches.

Je suis seule, avec mes pensées, à réfléchir à ce qui est, à ce qui a été mais surtout à ce qui s’en vient. Mon esprit vagabonde librement, oscillant positivement certains jours alors que pour d’autres le négatif me hante. Mes pensées s’insinuent dans mon esprit tels des rats se faufilant dans les murs d’une maison abandonnée songeant à ce que la maison fut antérieurement; pleine de vie, de partages et de sentiments de plénitude. Hantée par mes souvenirs, je me rappelle qui j’étais avant la maladie et comment donner un sens à tout ce qui m’arrive. Comme vous pouvez le constater, j’ai des hauts et des bas…journées pendant lesquelles je pleure en me demandant à quoi bon et d’autres pendant lesquelles j’oublie la maladie.

Mon corps me rappelle que plus JAMAIS je ne remarcherai, parlerai, chanterai, porterai la fourchette à ma bouche, serrerai mes proches dans mes bras, etc… La SLA impose cette solitude. La maladie met chacun face à lui-même, dans une solitude souvent forcée. La maladie, on la porte en soi. Personne ne peut intervenir pour nous accorder qu’une seule heure de répit. Ne plus pouvoir communiquer, bouger, force la réclusion et le repli sur soi. J’ai l’impression que mon monde rapetisse à mesure que la maladie progresse. Rassurez-vous, je suis confortable avec moi-même. Même si la solitude m’habite constamment, je sais que je dois être vigilante pour ne pas m’isoler. La douleur, la fatigue et les difficultés de mobilité influent de manière directe mes capacités à sortir ou à recevoir du monde chez moi. Elles me conduisent souvent à renoncer à l’entretien de la vie sociale. Je dois rester dans la communication même si je ne parle plus. « Fais un effort » me dis-je. Ma famille et mes amis sont dans le coin, pour me soutenir et m’encourager mais c’est moi qui me bats pour ma vie. Je sais parfaitement que le combat est truqué et que c’est un match mortel. Il serait facile de rester confortablement chez soi et d’attendre la funeste issue. Je dois rester intéressée à l’autre. Mon entourage est toutefois avisé de cela:

– Ne m’en veux pas si je suis trop fatiguée.

– Ne me juge pas si une fois j’ai été capable et que l’autre non.

– Ne m’en veux pas si je te dis non.

– Ne pense pas que tu ferais autrement dans ma situation. Tu ne le sais pas.

– Sache que tout ce que j’attends de ta part est que tu me croies. Je ne suis pas faible. Je n’ai juste pas l’énergie pour te prouver que je ne peux pas faire autrement.

Je peux me sentir seule mais j’ai la chance d’être entourée d’amour. Je suis appréciée pour ce que j’ai encore à donner et partager. Plus important encore, je m’apprécie et je crois que je peux, par mon expérience, en faire profiter les autres.

Je vous souhaite de passer du temps seul parce que la solitude permet de se connecter à soi, de retrouver le calme, c’est aussi l’occasion de mieux faire connaissance avec vous-même, de focusser sur l’essentiel, de trouver ses repères, de stimuler l’imaginaire et la création mais surtout de faire état de la gratitude qui habite notre vie. Toutes ces simples choses qui rendent la vie magnifique.

Le vécu d’une maladie mortelle comme la SLA fait que nous alternons en permanence avec des ressentis très différents, parfois opposés, souvent déstabilisants. C’est une période où la solitude peut être plus grande mais c’est aussi l’occasion d’apprendre à mieux se connaître et surtout d’accepter ces émotions parfois contradictoires.

La SLA m’a volé tant de choses. Elle a pris ma vitalité, ma santé et ma mobilité. Elle me dérobe également des moments et des personnes. Elle a aussi transformé l’épouse et la mère et les a remplacées par une personne qui en arrache. Toutefois, jamais elle ne prendra ma capacité d’aimer la vie et de la trouver belle.

 

Chantal Lanthier

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6 réponses sur « Solitude »

  1. Encore une fois, un gros merci Chantal. T’es écrits sont sublimes et renversants d »authenticité et de profondeur.
    J’apprécie tellement à chaque mois, car au dela des émotions que tu nous partages, il y a la réflexion personnelle.qui suit… ❤️

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  2. Bonjour Chantal,

    À chaque fois que je lis tes chroniques, je suis sans mots. On dirait que je me sens comme impuissante à écrire ce qu’il faut. Une chose est certaine, tes chroniques sont percutantes et suscitent la réflexion à tout coup. J’ai accroché sur cette phrase: « Ne pense pas que tu ferais autrement dans ma situation. Tu ne le sais pas. » C’est tellement vrai. J’ignore si je ferais autrement. Mais mieux? Pas sûre… ??

    Céline Laplante ________________________________

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  3. Tes textes sont d’une justesse et d’une vérité implacable. Même en tant que conjoint, j’ai vécu colères et découragement. Lucie par son attitude sa résilience me ramenait à l’ordre. Malgré: qu’elle perdait le contrôle physique de sa vie. La SLA lui a volé du temps en santé et a limité sa vie sociale. Elle savait se rattacher aux choses essentielles de la vie, comme sa famille, amis et, trouvait des moyens et des moments pour en profiter .

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