Pudeur

Avez-vous déjà passé un examen gynécologique ou examen de la prostate? Pas agréable, non? On ne pense qu’à une seule chose; se r’habiller au plus sacrant! Tout examen qui expose mes parties intimes me rend mal à l’aise. C’est une question d’intimité et d’intégrité. Je suis consciente qu’il en va des valeurs de chacun et de l’appartenance culturelle. Je n’ai jamais eu l’habitude de m’habiller sexy. Ce n’est tout simplement pas moi. Comme personne dépendante toutefois, je n’ai d’autres choix, que de m’exposer dans toute ma vulnérabilité.

Imaginez-vous faire un numéro 2 et vous faire essuyer les fesses? En seriez-vous capable? Seriez-vous à l’aise de vous faire moucher par quelqu’un ou de vous faire habiller par des inconnus? C’est pourtant ce qui arrive à des milliers de Québécois en perte d’autonomie. La SLA nous rend totalement dépendant des autres. Nous sommes comme des petits enfants avec une réflexion et un corps d’adulte.

La perte de la fonction de nos membres est totale. Vous éternuez, vous ne pouvez pas soulever un mouchoir pour vous moucher. Respirer, ce truc qu’on fait sans y penser, cela disparaît aussi. La SLA nous coupe littéralement notre souffle. Ai-je mentionné que notre diaphragme cesse progressivement de fonctionner? Cela est pourtant  essentiel pour une bonne hygiène pulmonaire. Cela entraîne à son tour une perte de poids, accentuée par l’atrophie. Nous rendant pour la plupart maigres, émaciés, squelettiques. Heureusement ce n’est pas mon cas.

J’éprouve souvent des épisodes d’étouffement, non seulement avec de la nourriture, mais avec mes propres sécrétions. C’est très gênant lorsque ça m’arrive en public. Les gens me fixent pour savoir si cela va aller.  Moi, je voudrais fondre comme neige au soleil et je me force à rester le plus calme possible. 

Certains font même l’expérience de la sialorrhée ! Qu’est ce que c’est que ce truc? C’est le terme médical pour la salive excessive, la bave. Les personnes atteintes doivent avoir un mouchoir à proximité sinon la salive sort de la bouche continuellement. La bave n’est pas le problème majeur, bien qu’inconfortable socialement, le vrai problème est l’étouffement. De nombreuses personnes atteintes de SLA aspirent souvent leurs sécrétions et se retrouvent avec une pneumonie potentiellement mortelle.

La SLA est totalement indigne: couches, cathéters, tubes d’alimentation, accidents personnels, étouffements, excès de salive, etc. Elle contribue grandement à nous rendre très vulnérables aux yeux des autres. Pas étonnant que plusieurs personnes atteintes préfèrent ne pas s’exposer aux regards. Je dois composer avec cette réalité qui est désormais mienne. Par chance, mon amour est là, à mes côtés. Il me lave, m’habille, me mouche, me donne à manger, me borde, me donne mes médicaments et m’essuie les fesses. Jamais il ne me juge et jamais il n’a l’air dégoûté. En 10 ans, je n’ai eu à me montrer nue qu’à 2 personnes (Lyette mon aidante actuelle et Marie la fille de Jocelyn). Je suis privilégiée de les avoir. Certains diront peut-être, en lisant cette chronique : ‘‘Moi, je ne me rendrai jamais là’’.  Je vous répondrai à cela qu’il est propre à chacun de déterminer sa limite. À partir de quand la vie ne vaut plus la peine d’être vécue? Pour moi, elle réside dans la capacité de mon amour à assumer la personne que je suis devenue. Lui et moi, devons composer avec ce fragile équilibre.  C’est là que toute la notion d’équipe prend forme.

La présence de Lyette, dans mon environnement immédiat, m’oblige à partager  mon intimité avec quelqu’un d’autre que Jocelyn. Étant donné ma nature plutôt prude, cette étape constitue un grand défi pour moi. Bien avant qu’elle ne puisse venir me soutenir sur une base régulière, cette éventualité m’a trotté dans la tête pendant des mois. J’arrive difficilement à me faire à l’idée de me dénuder devant quelqu’un d’autre dans un tel contexte. Puis, je réalise que je dois surmonter mes appréhensions et faire les efforts nécessaires. Accepter ce compromis me permettra d’offrir du repos à mon amoureux !

Encore aujourd’hui, cette vulnérabilité dans laquelle me place ma paralysie continue de m’indisposer. Je ne m’habitue pas à confier mon corps aux mains de quelqu’un d’autre. J’évite de laisser ces émotions dicter ma conduite. Je sais qu’il me faut franchir les barrières du malaise. Je dois apprendre à m’abandonner et à faire confiance, comme le nouveau-né se laisse aller dans les bras de ses parents. Je crois que ma dépendance peut devenir une source de réconfort dans l’abandon total, mais y arriverai-je un jour ? Je sais, pour en avoir discuté avec d’autres personnes qui ont la SLA, que cette proximité physique n’est pas un obstacle pour tous et que certaines d’entre elles n’éprouvent aucune gêne dans des situations similaires. Au début de ma maladie, quand Jocelyn devait m’habiller et m’aider à enfiler mon soutien-gorge, à la blague, il me disait: «Je suis vraiment plus habile à l’enlever qu’à le mettre. » Son humour m’attendrit en toute situation. Lui qui essaye d’aligner bonnets et bretelles, et moi qui ne peux parler, tellement je ris. Bienvenue dans le monde des femmes, mon amour !

SLA, trois lettres qui ne peuvent exprimer le caractère dévastateur de cette maladie. Pour moi, SLA veut plutôt dire : Sacrément, Laide et Abjecte.

Donc, si vous rencontrez une personne atteinte de la SLA et sa famille, considérez ce qu’elles endurent et réalisez combien elles sont fortes.

Chantal Lanthier

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13 réponses sur « Pudeur »

  1. Chère Chantal,

    Tes mots me touche toujours mais plus particulièrement celui-ci. Les limitations et les limites, sont devenues mes propres enjeux.

    Depuis le 31 mai dernier j’ai reçu un diagnostic de cancer du pancréas stade 3 localement avancé et inopérable. Un coup de masse en pleine figure…

    Depuis ce temps mes pensées se bousculent sans cesse.

    Cette chronique m’a aidé.

    Merci beaucoup et longue vie à toi

    Louise

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    1. Bonjour Louise, je me rappelle de toi. Toujours souriante et avenante. J’ose imaginer ce que tu ressens face à un tel diagnostic. J’ai vécu la même chose en 2013. Il faut prendre un jour à la fois et savourer chaque instant. Je te souhaite bon courage. Comme je l’ai écrit dans mon livre:  »Je traverse l’orage en sachant que, parfois, il est bon que la pluie tombe et que le vent souffle fort. L’orage déplace ce qui fut immobile trop longtemps, me permettant de revenir sur mon passé et de constater que ma vie fut bordée d’accomplissements. Je revois alors mes souvenirs en bataille, puis je les ordonne dans ma mémoire, me disant que l’existence a été bonne pour moi. Quand le tonnerre gronde, que les éclairs tracent des veines lumineuses sur la voûte sombre, ces lignes de vie me rappellent alors que la pénombre est dérisoire. J’entends la pluie tomber et je sais qu’elle nourrit les fleurs, le sol et la vie. Je trouve mon équilibre dans la tourmente. Je tiens le coup ». Tiens le coup belle Louise xxx

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  2. Ouf Chantal, comme tu nous fait réfléchir ! Je retiens que : On ne peut connaître notre réaction tant qu’on est pas réellement dans la situation.

    Donc les :  » moi en tout cas… » ou bien « c’est déjà décidé dans ma tête… » sont d’aucune valeur. J’imagine qu’il faut vivre jour après jour les mauvais côtés qui font souvent apparaître les multiples merveilleuses choses de la vie qu’on aurait pas expérimentées sans les restrictions de la maladie.

    J’écris cela, mais je n’en sais rien dans le fond. C’est juste que toi, avec ta belle plume, tu me fais réaliser le beau et le bon, malgré …
    Encore merci pour ce magnifique message,
    Tu as tout mon respect,
    sincèrement, Nicole xxx

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  3. Oui je réalise combien vous êtes forts et fortes dans cette abandon pas facile. Merci de partager cela Chantal. De partager cette amour qui t’entoure et qui peut devenir contagieux dans le cœur de plusieurs personnes.

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  4. J’ai eu cette expérience avec mon papa qui était un homme très digne et plutôt intimidant, qui a su lacher prise lorsqu’il était malade et nous a fait ce cadeau de sa confiance et de son affection ça a entièrement changé ma relation avec lui et ces dernières années il m’a permis de l’aimer dans toute sa faiblesse d’homme. J’ ai des souvenirs de rires partagés en lui’enfilant ses chaussettes de contention ou en lui mangeant sa couche. Je t’embrasse Chantal ainsi que ton Jocelyn si attachant à lire tes chroniques 😉

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  5. Merci Chantal. Oui cela doit te demander beaucoup d’humilité. Beaucoup de maladies obligent l’acceptation pour les AVQ ( actes quotidiens ) – Les personnes aidantes font avec beaucoup de compréhension et délicatesse. Elles ont l’habitude et ne jugent pas la beauté des fesses d’un patient comparée aux fesses d’un autre 🙂  » un peu d’humour ici  » 🙂 – On nettoie et lave avec le coeur ! on doit alors accepter ce cadeau inconditionnel. On se sent si bien après: le corps nettoyé. Un beau sourire , un merci est la grande récompense de celles qui t’aident dans le moment. Savoir accepter les rendra heureuses de te rendre mieux dans ta peau. Bon mois d’août chère amie virtuelle a+

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  6. Chère Chantal, je lis chacune de tes chroniques, j’en fais un incontournable. Tu m’aides à comprendre ce que ma maman pouvait vivre, sans pouvoir l’exprimer en mots mais combien dans le regard. En effet, c’est un abandon total pour la personne atteinte, mais de mon côté, d’avoir été dans la plus profonde intimité de ma mère, pour moi était un juste retour du balancier, elle qui avait pris soin de moi tout bébé. D’accord, ce ne devrait pas être dans la normalité des choses que de devoir, comme tu dis, essuyer les fesses de ma mère, mais la maladie m’y a obligé. Je l’ai fait, sans même me poser de questions, en tentant pour elle de limiter cette gêne d’être totalement dépendante, parce qu’elle avait besoin. On en riait même parfois (même si ce n’était pas drôle), avec son rire qui était exagéré par la maladie. J’ai pris soin de ma mère, pour donner du répit à mon père, qui l’a accompagnée jusqu’à la fin. Je l’ai fait avec tout l’amour et la douceur qu’elle méritait (en t’écrivant ce mot, les larmes montent même après 11 ans). Je le referais sans hésiter et me réjouis d’avoir pu apporter, un certain détachement sans malaise pour ma mère, sur cette proximité physique. La SLA pour moi demeurera à tout jamais gravée dans ma mémoire, puisqu’elle m’a enlevé ma mère, sans qu’elle ait pu combattre comme elle savait si bien le faire.

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